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Autoroute A69 : « Il y a une radicalisation de l’État dans les dossiers environnementaux » pour Sébastien Mabile, spécialiste du droit à l’environnement

Autoroute A69 : « Il y a une radicalisation de l’État dans les dossiers environnementaux » pour Sébastien Mabile, spécialiste du droit à l’environnement

Depuis l’arrêt du chantier de l’A 69 fin février sur décision du tribunal administratif de Toulouse, les partisans du projet multiplient les obstacles procéduraux. Une proposition de loi des sénateurs du Tarn de la droite et du centre est débattue ce jeudi 15 mai. Son but : délivrer au projet la raison impérative d’intérêt public majeur qui lui manque et faire annuler la décision de justice. Ce texte s’ajoute au recours déposé par l’État et examiné en appel le 21 mai. Une atteinte à la démocratie environnementale qu’analyse pour nous le juriste spécialiste du droit de l’environnement, avocat au barreau de Paris et auteur de l’essai Justice climatique (Actes sud), Sébastien Mabile.

En janvier, vous alertiez, avec une centaine d’avocats, sur les « atteintes à la démocratie environnementale » dans le cadre du dossier de l’A69. En quoi est-elle aujourd’hui menacée ?

Elle l’est depuis 2018, avec l’affaiblissement progressif des normes environnementales. Le double degré de juridiction (pouvoir faire appel d’une décision, NDLR) pour contester des projets a été supprimé, d’abord pour l’éolien en mer, puis pour d’autres installations d’énergie renouvelable.

En 2024, Emmanuel Macron a réduit à deux mois le délai de recours contentieux, autrefois illimité, pour les installations les plus nocives pour l’environnement. L’État a donc multiplié les obstacles procéduraux, considérant que faire participer le public à l’élaboration des projets était une perte de temps. Il a cherché à limiter les recours pour restreindre l’accès à la justice environnementale.

Le cas de l’A69 en est l’exemple : une décision rendue par un tribunal administratif indépendant a été contestée par des élus de la droite et du centre allant jusqu’à déposer une loi de validation pour faire obstacle au jugement.

Comment ces contournements des décisions de justice par l’État fragilisent-ils le droit de l’environnement ?

On constate une volonté de restreindre la contestation publique et une radicalisation de l’État sur les dossiers environnementaux. Se pose la question de l’effectivité du droit de l’environnement, puisque les chantiers débutent systématiquement malgré les recours, souvent ignorés même lorsqu’ils sont gagnés.

Les militants environnementaux s’interrogent : cette stratégie démocratique, de s’adresser aux juges, est-elle encore utile ? Une stratégie plus radicale d’occupation, même violente, n’est-elle pas plus efficace ? Le principal succès environnemental reste l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes en 2018, non grâce aux recours – tous perdus – mais à la lutte sur le terrain.

Même constat pour l’A69 où la stratégie gagnante, respectueuse du droit, cherche à être mise en échec par le gouvernement. Plus on affaiblit la démocratie environnementale, plus on affaiblit les voies légales et démocratiques de contester des projets, plus on encourage la radicalité des oppositions.

La répression de ces oppositions participe-t-elle à affaiblir le débat démocratique ?

Bien sûr, cela y participe car la convention d’Aarhus de 1998, qui définit la démocratie environnementale, demande aux États d’assurer une protection des défenseurs de l’environnement. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur le sujet, dresse un tableau très inquiétant de leur situation en France. Avec une spécificité : la violence de sa police.

Les manifestations environnementales sont systématiquement interdites et très sévèrement réprimées. Aujourd’hui défendre l’environnement, c’est exposer son intégrité physique et morale. Cette répression est encouragée par la sémantique : le terme « écoterroriste » est utilisé pour qualifier des gens qui défendent simplement le bien commun. Il sert à délégitimer leur discours et à justifier la répression à leur égard.

Quelles mesures urgentes prendre pour instaurer une justice environnementale efficace ?

Une meilleure efficacité du référé pénal environnemental permet de suspendre une installation classée non conforme. Ces procédures d’urgence ne fonctionnent pas sur les projets actuels, car l’État adopte une stratégie de pourrissement pour faire durer le contentieux, faire avancer les travaux et rendre toute décision judiciaire irréversible. C’est la stratégie du fait accompli, comme dans le cas de l’A69, où les recours se multiplient.

Et cela peut coûter très cher. L’affaire du contournement de Beynac en Dordogne le montre : le contribuable finance la déconstruction d’un ouvrage qui n’a jamais servi, le département ayant engagé les travaux d’un projet annulé par la justice. En comparaison, quand un particulier sollicite un permis de construire et qu’il y a des recours, il n’engage pas les travaux avant que ces recours soient purgés.

Pourquoi ne pas appliquer la même logique à l’État lorsqu’il est derrière des projets d’autoroutes ? Pour toutes ces raisons, j’en appelle à une alliance entre les juristes et les désobéissants, car il y a une véritable complémentarité en termes d’efficacité. Les désobéissants d’aujourd’hui sont les héros de demain.

La justice climatique, c’est notre bataille. Celle qui relie luttes environnementales et sociales pour contrer un système capitaliste faisant ventre de tout. Du vivant, de la planète, de notre humanité.

Il n’y a pas de fatalité.

  • Nous démasquons les manipulations des lobbies.
  • Nous battons en brèche les dénis climatiques mortifères.
  • Nous mettons en valeur les initiatives visant à réduire les inégalités environnementales et les fractures sociales.

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