Axel Marchal : « La fraîcheur est dans l’ADN de Bordeaux : ni vert, ni cuit »

Entretien sur l’avenir et sur le goût du vin avec le chercheur et professeur d’œnologie Axel Marchal
Âgé de 42 ans et diplômé de chimie à l’école normale supérieure de Paris, Axel Marchal est professeur des universités en œnologie à l’Institut des Sciences de la vigne et du vin à l’Université de Bordeaux. Consultant et dégustateur réputé, il livre ici ses réflexions sur le goût du vin et ses évolutions, proposant une définition « contemporaine » des vins de Bordeaux.
Sud Ouest. Comment un Vosgien devient-il une des références du vin à Bordeaux ?
Axel Marchal. Je ne suis pas un enfant de la balle en effet, je me suis retrouvé à Bordeaux par passion du vin.
Il y a une grande rencontre qui est un tournant…
Oui, d’abord de nombreuses rencontres avec d’éminents critiques de vin lorsque je faisais mes études à Paris… Puis l’une qui a compté particulièrement, celle avec Denis Dubourdieu (grand professeur d’œnologie décédé en 2016, ndlr). J’étais à Bordeaux, sans intention d’y rester, et j’ai fait une visite au château Reynon. J’ai passé une journée avec Denis. Cela a changé la façon dont j’envisageais la suite de ma carrière. On a goûté du vin, on est allé voir des fosses pédologiques, on a parlé de science. Je ne connaissais pas l’œnologie en tant que telle comme discipline scientifique. J’ai pu voir qu’il y avait une possibilité de faire converger ma passion pour le vin et mon intérêt profond pour la science. Je suis resté pour une thèse doctorale d’œnologie soutenue en 2010 sur « les bases moléculaires de la saveur sucrée des vins secs ».
Vous avez la réputation d’en être l’un des spécialistes : y a-t-il encore un style bordelais ?
C’est la question que tous les professionnels doivent se poser. C’est quoi le goût de Bordeaux ? C’est difficile de décrire le goût d’une région qui fait aujourd’hui environ 100 000 hectares de vigne. Ma réponse, c’est qu’il a un certain nombre de caractéristiques intemporelles dont l’interprétation évolue avec le temps. Les vins de Bordeaux sont des vins qui sont issus de raisins cultivés en limite nord de leur zone de maturité. Donc globalement, sans distinguer une question géographique absolue, les vins de Bordeaux sont des vins qui dans leur goût sont des vins septentrionaux. En conséquence, ils possèdent une qualité qui à mon avis est très importante dans la construction d’un vin qui est la fraîcheur. Et ça, c’est vrai en blanc. Et c’est particulièrement recherché en blanc depuis toujours parce qu’une des premières raisons pour lesquelles on boit du vin blanc, c’est parce qu’ils vont avoir un caractère désaltérant. Pour les vins rouges, il y a le caractère végétal. Bordeaux, c’est la maturité du fruit frais. Ni vert, ni cuit. Il y a aussi la suavité qui se révèle avec le temps. Bordeaux, c’est une structure tanique sans astringence. Et c’est là où finalement se trouve le chemin de crête. Dernier élément, la capacité et non l’obligation de vieillir admirablement.
Et du point de vue du simple consommateur de vin ?
Il est au centre de tout. Il y a une identité générale des vins de Bordeaux mais un style qui peut changer, c’est en lien avec l’évolution de l’attente des consommateurs. Le grand œnologue Émile Peynaud disait que le vin, « c’est le fils du client ». Le vin n’est pas quelque chose d’absolu. Le vin est un produit sensible, c’est le goût d’une époque.
Le vignoble bordelais traverse une crise terrible… Quel est votre regard ?
La situation est très lourde, avec le mouvement de désamour injuste envers Bordeaux. Je veux souhaiter du courage aux vignerons et leur dire que je pense qu’il y a beaucoup de sources d’espoir. On n’a sans doute pas suffisamment communiqué sur les gens qui sont derrière les vins à Bordeaux, sur l’incarnation, sur la diversité remarquable des terroirs bordelais. Beaucoup de vignerons sont remarquables dans leur engagement.
Après plus de 25 ans dans le monde du vin, une question au jeune passionné vosgien… Que cherchez-vous dans le vin ?
Assez souvent, je n’y cherche rien. C’est le vin qui vient à nous. Je ne crois pas du tout que la connaissance s’oppose au plaisir. Simplement, il y a des vins que j’aborde de façon différente. Dans une dégustation dans un cadre privé, je reprendrai la citation sur la relation entre Montaigne et la Boétie : « parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Ça, c’est ce moment qui arrive dans un contexte donné où l’on est disponible à recevoir un vin. Son origine, la façon dont il a été fait, la façon dont il a été conservé, dont il a évolué, comment il m’est servi… Eh bien cette rencontre unique où il y a une connexion immédiate, c’est l’émotion qui arrive sans la chercher, elle s’impose naturellement.
Cet entretien a été réalisé en juin dans le cadre du podcast « Les quatre saisons du vin » où il est à retrouver en intégralité.
SudOuest