« En matière de transition écologique, l’Etat est lâche et absent, là où il devrait être fort et stratège »

Il y a quelque chose d’un paysage de fin du monde là-bas, loin à l’est, à Saint-Avold (Moselle). Des bâtiments qui se succèdent, certains rouillés et laissés à l’abandon, des débris de ferraille, neufs mais inutilisés, qui s’entassent dans un coin du site, des filets en plastique, quelques voitures, des couloirs longs comme un déclin industriel qui n’en finit pas. C’est la centrale à charbon Emile-Huchet, une des deux dernières de France. Du temps où elle fonctionnait à plein, elle employait plus de 800 personnes au sein d’un service public qui allie technologies de pointe et compétences des salariés.
Au tournant des années 2000, l’Europe ordonne la mise en concurrence, et la Société nationale d’électricité et de thermique (SNET) est créée, de sorte à anticiper cela. D’abord détenue par l’Etat, Charbonnages de France (CdF) et EDF, elle est ensuite vendue à un groupe espagnol. La centrale de Saint-Avold fait partie du lot : c’est le début des grandes manœuvres. La centrale connaîtra pas moins de cinq propriétaires différents entre 2004 et aujourd’hui. A chaque changement de groupe, des licenciements, des reclassements, des départs à la retraite. Des 800 salariés d’antan, il n’en reste aujourd’hui qu’une centaine sur le site.
Seulement, le charbon pollue. Il émet du CO2 en quantité et n’est pas compatible avec les engagements de transition écologique pris par la France. L’accord de Paris date de 2015, ce qui aurait pu laisser le temps d’anticiper la suite des événements pour la centrale et ses salariés, qui sont pourtant restés sans plus de réponses quant à leur avenir. Le 31 mars 2022, la centrale est finalement fermée par décret, et l’ensemble des salariés est licencié pour motif économique.
Des pions sans importanceQuelques mois plus tard, en juin 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie [survenue en février] et la crise de l’énergie poussent finalement les instances décisionnaires à rouvrir la centrale. Les salariés reprennent le chemin du travail, mais en CDD et sans savoir de quoi demain sera fait. Au fil des reventes et des plans de licenciements, les compétences se perdent, et certains employés à la retraite sont rappelés à la centrale : ils sont désormais les seuls à savoir entretenir les machines.
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Le Monde